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Lettre à moi-même : erreur de réflexe correcteur

Cher Lucas,

Allons droit au but.

Le fondement de cette lettre repose sur une vidéo de Charles Robin, et plus spécifiquement d’extraits de citations provenant de cette vidéo :

« Le réflexe correcteur qui est décrit par « La Tronche en Biais » dans cet article, ce serait l’idée que l’esprit critique pousser à son terme, ce serait l’absence totale de communication, ce serait l’impossibilité de pouvoir délivrer une pensée ».

« Si vous vous mettez à avoir une attitude scientifique dans toutes les discussions que vous avez avec les gens, à un moment donné vous allez finir tout seul et vous allez vous parler à vous-mêmes. Je pense qu’à ce moment-là on pourra parler de comportement pathologique puisque vous ne serez plus capable de communiquer avec qui que ce soit ».

« Le fait de critiquer quelque chose sur des bases factuelles, rationnelles et objectives, c’est déjà un parti pris. Je fais le choix de critiquer, je fais le choix d’être dans l’opposition plutôt que dans l’écoute, plutôt que d’être dans la collaboration de la pensée par le dialogue ».

« Avant l’intelligence rationnelle et avant l’intelligence scientifique, il y a peut-être une intelligence sociale qui consiste à créer les conditions du dialogue, parce que si les conditions du dialogue ne sont pas réunies, l’esprit critique n’a plus aucun sens ».

Sur base de ces propos, je t’invite à réfléchir à tes propres habitudes de communication.

Il t’est souvent arrivé de reprendre tes interlocuteurs non pas pour ce qu’ils ont dit, mais pour ce que tu as cru entendre, filtré par le prisme de tes propres projections. Ce réflexe correcteur, lorsqu’il devient un automatisme, est un poison pour l’échange. Il assèche le dialogue, renforce la croyance que nous avons raison et que l’autre a tort, et parfois même, que l’autre doit être convaincu que nous avons raison.

J’y vois une confusion fréquente entre intelligence rationnelle et intelligence sociale. Bien des personnes qui prônent l’esprit critique oublient que la remise en question commence par soi-même avant de viser l’autre. On pointe ce qui dysfonctionne chez autrui, sans faire l’effort de corriger ses propres angles morts. Dire à autrui ce qu’il devrait corriger sans appliquer soi-même ses conseils, c’est, pour reprendre les mots de Jordan Peterson, ne pas avoir « rangé sa chambre ». Cela relève d’une posture infantile à mon sens.

L’un des facteurs ayant nourri ton propre réflexe correcteur est le sophisme de l’homme de paille, ou plutôt, la peur qu’il soit employé à ton encontre pour les conséquences qui peuvent en découler. À force de chercher à te protéger en adoptant une posture critique constante, tu as fini par faire de la rationalité un bouclier, une stratégie de survie dans les échanges. Or, cette posture, dans bien des situations, nuit à ton intelligence sociale, pourtant essentielle à la compréhension des signaux subtils envoyés par autrui.

Par exemple, ne pas saisir que quelqu’un n’est tout simplement pas disponible émotionnellement ou intellectuellement pour une discussion en profondeur peut t’amener à être plus biaisé que tu ne l’es d’habitude : mauvaise foi, manipulation, déformation de ses propos … alors qu’il s’agit parfois d’une simple fatigue, d’un moment de vulnérabilité, ou d’un besoin d’espace. Tout le monde a le droit de ne pas vouloir communiquer. Ce refus n’est pas forcément signe d’ignorance ou de malhonnêteté. En ce sens, il existe autant de bonnes raisons à dialoguer que de bonnes raisons à se fermer au dialogue.

La recherche de vérité, poussée à l’extrême, peut générer bien des problèmes. Il devient alors crucial d’ajuster le curseur entre volonté du vrai et volonté du juste. Ce choix est personnel. Certains, comme Socrate, vont jusqu’au bout de leurs convictions, quitte à en mourir. D’autres préfèrent une voie plus douce. Il n’y a pas de bonne réponse universelle, mais il me semble important de choisir sa voie, et surtout d’en assumer le parti pris.

Te connaissant, je te pose cette question : quel est le plus grand aboutissement de l’intelligence sociale dans la pratique ?

La réponse me semble être la suivante : l’entretien épistémique consenti, bienveillant, respectueux, où l’on cherche sincèrement à comprendre l’autre, sans se cacher derrière la recherche de vérité comme prétexte à une domination intellectuelle. Un vrai entretien épistémique n’est pas un terrain de joute pour flatter l’ego, mais un espace offert à l’autre, au service de sa propre réflexion.

J’aimerais donc que tu remplaces ton réflexe correcteur par ce réflexe de dialogue sincère, en t’éloignant de la critique compulsive, souvent stérile et régressive. Car, de toi à moi, je suis fatigué des débats qui tournent à vide, où l’on caricature l’autre pour mieux le discréditer, sous couvert de lucidité.

Pour ma part, il existe des situations dans lesquelles je préfère défendre une personne qui se fait malmener, même si son raisonnement n’est pas logique à la base, plutôt que de contribuer à son éviction du groupe. Car je pense que l’intelligence rationnelle doit être au service de l’intelligence sociale pour que l’effet inverse se produise au mieux (intelligence sociale au service de l’intelligence rationnelle) ; chose difficile à faire lorsque nous sommes incapables de voir plus loin que le bout de notre nez. Adopter le pluralisme est aussi un moyen de contenir notre réflexe correcteur. Aucune pensée, en soi, n’est dangereuse ; ce sont les actes découlant de la pensée qui peuvent l’être.

Lorsqu’on approuve le réflexe correcteur comme réponse par défaut, on bascule souvent dans une posture militante. Comme mentionné dans ma précédente lettre, le plus important est de reconnaitre que ce type de démarche peut être beaucoup de choses, mais certainement pas une démarche basée sur l’honnêteté intellectuelle. Se servir de la démarche scientifique comme prétexte pour rationaliser notre réflexe correcteur en est un bon exemple, comme le fait de prôner le droit/devoir à la critique pour ensuite se contenter de faire tout de travers.

Si l’entretien épistémique encadré avec bienveillance, respect et consentement représente le plus haut niveau d’aboutissement de l’intelligence sociale en pratique, le plus bas niveau de régression de cette même intelligence commence probablement par ce réflexe correcteur déguisé en posture nécessaire. Adopter une démarche rationnelle dans chacun de nos échanges nous amènera sans doute à finir seul, au mieux, et au pire, nous justifierons notre propre isolement en méprisant autrui et leur (bonne) décision à s’être fermer au dialogue envers nous-mêmes.

Effectivement, il y a pire que la solitude : la solitude et l’impossibilité d’en sortir.

Dernière chose. S’il est commun de dire qu’il importe de vivre de façon à éviter le regret une fois que nous serons sur notre lit de mort, pourquoi continues-tu à pratiquer le réflexe correcteur ? Rassemble plutôt ton énergie à entreprendre ce qui sera utile au groupe, au lieu d’être acteur de tes futurs regrets, en t’exerçant par exemple à l’entretien motivationnel en tant que professionnel de l’activité physique. Peu importe ta façon d’être utile au groupe, peu importe ton mode de vie, le contexte primera toujours sur le concept étant donné que tu ne souhaites pas devenir ce type de militant qui déforme la réalité pour mieux asseoir son idéologie, ce qui est censé se traduire en pratique par l’abolition de ton propre réflexe correcteur.

N’oublie pas ou souviens-toi.

Au plaisir d’évoluer ensemble.

Lucas Van Der Linden

Lucas Van Der Linden a plus de 6 ans d'expérience en musculation, détient un bachelier en coaching sportif, et a commencé depuis peu les compétitions en powerlifting à niveau amateur. Envieux d'aller au bout de sa compréhension, Lucas cumule des connaissances principalement en sciences de l'entrainement et de la nutrition, ce qui l'a amené à entreprendre la formation "Bayesian France" et "Adeps moniteur initiateur en powerlifting/haltérophilie". Fondateur et propriétaire de "Berserk Training System", un site dédié avant tout au coaching en ligne visant à informer/éduquer les pratiquants de musculation, il a pour projet professionnel de se dégager suffisamment de temps pour créer du contenu utile dans son champ d'expertise sous forme d'articles et de podcasts. Lisez les deux liens suivants pour en savoir plus à son sujet : https://berserktrainingsystem.com/qui-suis-je/ et https://berserktrainingsystem.com/court-temoignage-mes-debuts-en-musculation/

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