Cher Lucas,

En ce jour, je te parle d’un sujet célèbre mais ô combien controversé : la volonté.

Au risque d’être direct, j’aimerais savoir ce qui t’empêche, au fond, de vouloir devenir l’Homme le plus fort du monde. Pas dans l’absolu, mais dans ton sport ; le powerlifting.

Je te pose la question sérieusement. Pas pour nourrir une illusion ou entretenir un fantasme irréaliste, comme on peut en voir dans certains animés, mais parce que je veux comprendre pourquoi tu n’as jamais réellement exprimé cette ambition. Pourquoi ce silence intérieur pendant si longtemps ?

Je crois connaître une partie de la réponse : tu as longtemps été freiné par la survalorisation que tu accordais au regard des autres, ainsi qu’à ton propre jugement envers toi-même. Ce n’est pas nécessairement une faiblesse. Le jugement d’autrui et le jugement que l’on porte à soi-même, lorsqu’ils sont bien dosés, peuvent nous aider à grandir. Mais lorsqu’ils deviennent un poids, une peur constante, ils finissent par fausser notre perception du monde, jusqu’à nous amener à être en contradiction avec nous-mêmes.

Il est naturel, et parfois même sage, de se demander si un objectif est réaliste. On juge souvent la pertinence de nos ambitions à l’aune de ce que l’on croit possible. Mais ce « réalisme » repose toujours sur un contexte temporaire.

S’il est par exemple possible pour un homme de 85 ans commençant la musculation, de regagner de l’énergie, d’améliore sa santé, et de parvenir à vivre quelques années supplémentaires grâce à de bonnes habitudes mises en place dans son quotidien, qu’en serait-il avec de meilleures prédispositions ? …

Mon message est le suivant : ce que tu es aujourd’hui ne définit en rien ce que tu peux devenir. Nous ne pouvons pas connaitre aujourd’hui l’étendue de notre potentiel (inexploré) sur les années à venir. L’humain évolue, apprend, s’adapte sans cesse. Même les plus passifs d’entre nous finissent par progresser malgré eux. Dans ce cas, qu’en est-il de toi ?

Pour l’exprimer autrement, Oscar Wilde écrivait : « il faut toujours viser la lune, car même en cas d’échec, on atterrit parmi les étoiles ».
Mais trop de gens utilisent les étoiles comme excuse. Ils n’ont jamais visé la lune ; ils ont simplement abaissé leurs ambitions pour ne pas risquer l’échec. Et parfois, ils finissent par croire qu’ils ont tout donné, alors qu’ils n’ont exploité qu’une fraction de leur potentiel. Qui plus est, quelle faiblesse d’esprit d’attendre d’être dans de bonnes prédispositions pour prétendre se rapprocher du graal ! Mon cher Lucas, si cette lettre s’adresse à toi, c’est parce que tu fais partie de ces gens-là. En ce sens, sois fier d’être anormal. Toi au moins, tu as conscience de cette faiblesse qui est tienne, ce qui est vecteur de changement.

La pensée rationnelle est formidable, mais mal comprise, elle devient une prison. Il importe donc de distinguer un raisonnement fondé sur le réel, d’un raisonnement qui prétend définir le réel. Le premier observe, le second limite. Or, lorsqu’on se fixe des objectifs, la limite devrait uniquement servir à nous canaliser pour mieux nous élever par la suite, et non nous contenir dans une prison.

Quand bien même notre objectif final serait véritablement représentatif de nos capacités, une vie basée uniquement sur des estimations justes, quel ennui … Quitte à consacrer autant de temps et d’effort à l’entrainement sur ta semaine, autant viser un objectif digne de ton investissement, et non d’attendre d’être digne avant de viser l’objectif de devenir champion du monde. De toute façon, si ton objectif s’avère réellement inatteignable, il sera toujours temps de le réévaluer. Ne confonds donc pas inatteignable et irréaliste. Même si ton objectif peut sembler irréaliste, il n’appartient qu’à toi de découvrir tes propres limites.

N’aie pas honte de viser grand. Aie plutôt honte de ne rien faire pour y parvenir. Et surtout, aie honte de te mentir à toi-même, de faire de la fausse modestie. À quoi bon prétendre vouloir être le plus fort possible en tant que powerlifter si ce n’est pas pour devenir champion du monde ?

Arrive un moment où les tendances changent, et où Apollon n’a plus d’autre choix que de collaborer avec Dionysos, en vue de cibler un objectif commun. Te concernant, ce moment commence à partir de l’entrainement.

Je me demande quelle serait ta vie d’athlète en admettant que tu puisses devenir champion du monde. Autrement dit, je me questionne sur ton rapport à tes entrainements, ton rapport à ta nutrition, à ton sommeil, etc, dans le cas de figure où devenir champion du monde ne serait plus de l’ordre du mythe, mais serait bel et bien envisageable, aussi concret que n’importe quel objectif véritablement « réaliste ». En étant honnête avec toi-même, tu sais que tu as des choses à améliorer pour devenir meilleur athlète. Dans ce cas, qu’attends-tu pour les améliorer ces choses ? …

Ce n’est pas le futur que tu peux contrôler, mais ce que tu fais aujourd’hui pour l’influencer. En ce sens, Blaise Pascal pensait qu’il valait mieux parier sur la foi en l’existence de Dieu plutôt que d’être athée, car, selon Pascal, les pertes engendrées par la croyance en la non-existence de Dieu seraient supérieures aux pertes engendrées par la croyance en son existence, tout comme les gains octroyés par la croyance en la non-existence de Dieu seraient inférieurs aux gains octroyés par la croyance en son existence ; étant donné que Dieu échappe à notre raison, il devient plus rationnel de faire le pari d’y croire plutôt que de ne pas y croire selon lui, la motivation de ce pari étant de l’ordre de la foi.

De la même façon, je m’interdis de re/poser un verdict sur ce qui s’avère desservir mon développement d’athlète, alors même qu’il m’est impossible de savoir jusqu’où je peux performer. Je fais le pari de croire que viser le plus grand objectif en tant que powerlifter (devenir champion du monde) me mènera plus loin que de viser un objectif final plus accessible. Même si je n’atteins pas mon objectif, je n’ai rien à perdre, bien au contraire.

Ce pari te permettra de te nourrir d’une expérience incroyable que peu de personnes ont la chance de vivre en totale transparence avec elle-même. Certains pourrait se moquer de toi à coup de « heureux les faibles d’esprit ». Ne fais pas attention à eux, ils sont jaloux. Accorde leur l’attention qu’ils méritent : aucune. Tel que je l’entends, un athlète digne de ce nom tirera ses pairs vers l’élévation, ou sinon, ce n’est pas (encore) un véritable athlète. Tout est dit.

Les moqueries et le manque de réalisme importent peu. Quoi que tu en dises, quoi que tu en penses, quoi qu’on puisse en dire, quoi qu’on puisse en penser, cette ambition, tu la sens en toi. Elle est limpide, instinctive, bestiale ! Ce serait dommage que tu gâches ce potentiel en laissant à autrui la possibilité de guider ta vie au lieu d’en être le fervent capitaine.

Le plus important est que tu vives ton expérience de powerlifter tel que tu l’entends. Car, si tu doutes de tes propres capacités et/ou de tes propres ambitions, tu as déjà perdu avant même d’avoir commencé. Or, avant d’espérer devenir champion du monde physiquement, il faut le devenir mentalement, dans la discipline et la rigueur. Et pour cela, se fixer l’objectif de le devenir sera ton nouveau point de départ.

N’oublie pas ou souviens-toi.

Au plaisir d’évoluer ensemble.