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Lettre à moi-même : erreur de langage

Cher Lucas,

Entrons directement dans le vif du sujet.

Il est naturel de s’exprimer différemment à l’oral et à l’écrit. La parole spontanée tolère certains écarts, approximations ou maladresses, souvent plus qu’à l’écrit. Cela dit, j’aimerais attirer ton attention sur une de ces erreurs récurrentes : l’usage imprécis de l’expression « selon la littérature scientifique ».

Permets-moi de t’expliquer pourquoi cela me dérange.

Imagine la littérature scientifique comme un immense ouvrage collectif, divisé en disciplines, sous-disciplines, catégories, et ainsi de suite. Lorsqu’on invoque « la littérature scientifique » à propos d’un sujet, on prétend parler au nom de l’état actuel des connaissances établies dans ledit domaine. En théorie, cela suppose un travail rigoureux, une lecture large, exhaustive et actualisée. En pratique, c’est rarement le cas.

Beaucoup utilisent cette formule sans mesurer ce qu’elle implique. Parler au nom de la science, sans avoir étudié en profondeur le sujet, revient à s’exprimer sur un livre qu’on n’a pas lu. Serait-ce honnête ? Bien sûr que non. Alors pourquoi continues-tu parfois à le faire ?

Je t’entends déjà objecter. Tu pourrais me dire que tu te bases sur des sources fiables, comme des méta-analyses constituées uniquement de solides ECR, des revues systématiques ou des consensus scientifiques. Même si c’est vrai, même si tes intentions sont louables, cela ne change rien au fond : tu n’as pas lu l’ensemble du « livre » auquel tu fais référence. Parfois même, tu n’as lu que trois articles sur PubMed … Au risque de te le rappeler, la frontière de la littérature scientifique n’est pas nationale et ne se limite pas à un seul moteur de recherche.

Cela peut paraître pointilleux, voire excessif. Mais pour moi, cette nuance est essentielle. Car s’exprimer avec précision, c’est aussi faire preuve d’humilité. Dire « selon les études que j’ai lues » est bien plus honnête que de parler « au nom de la littérature scientifique », surtout quand on n’en maîtrise qu’un fragment.

En réalité, ce type de langage renforce artificiellement le poids de ton discours en l’associant à une autorité que tu ne détiens pas, celle de la science. Même si ton message est juste, même si ton objectif est moral, tu manques de rigueur épistémique lorsque tu emploies cette formule.

Ce que je critique ici, ce n’est pas ton engagement, mais la confusion entre démarche scientifique et militantisme. Si tu assumes une posture idéologique, très bien. Mais dans ce cas, reconnais-le. Ne te cache pas derrière la science pour renforcer ton propos. Cela risquerait de trahir ton intention, voire de faire passer une conviction personnelle pour une vérité universelle.

Tu me diras peut-être : « mais si je ne m’appuie pas sur la science, comment convaincre sans que mon interlocuteur ne tombe dans le relativisme ? ». Justement. Si ton message repose sur une autorité extérieure pour exister, alors il perd en force intrinsèque. Tu te désalignes avec l’esprit même de la science, qui n’est pas la recherche de preuves, mais celle de la vérité.

Et si, demain, les données sur lesquelles tu t’es appuyé se révélaient fausses ? Que ressentirais-tu en pensant à toutes ces fois où tu as parlé avec assurance de sujets que tu n’avais pas pleinement explorées ?

Adopter une posture plus transparente, c’est inviter ton interlocuteur à exercer son esprit critique. En présentant ton rapport à la connaissance avec honnêteté, même si elle est partielle ou évolutive, tu ouvres la porte à un échange réel, fertile et respectueux.

Car il y a des choses qu’on ne dit pas : on les incarne. À force de parler « au nom de la science », on finit parfois par bloquer la discussion, par crisper l’échange, voire par intimider involontairement l’autre. L’arrogance intellectuelle ne se manifeste pas toujours dans le ton : elle se glisse aussi dans les mots.

Tu sais, Lucas, nous ne sommes que des passeurs de connaissances. Nous n’avons aucun impact sur l’avancée des connaissances scientifiques. Quoi qu’il se passe dans le milieu de la recherche, nous ne pourrons rien y faire. En tant que passeur de connaissances, nous avons cependant la responsabilité d’adopter une approche intègre. Retiens donc qu’il y a une grande différence entre celui qui cherche à imposer son discours en s’appuyant sur l’autorité de la science, et celui qui partage, avec nuance, ce qu’il a compris, lu et appris, dans un esprit de collaboration.

Car si le but de l’échange est de grandir ensemble, et non de briller seul, alors ce moment devient un vrai temps d’apprentissage, pour les deux parties. Il permet de voir nos angles morts, de progresser, et de renforcer notre pensée.

En bref, un peu d’humilité ne fait jamais de mal.

À mes yeux, une honnêteté intellectuelle véritable ne parle jamais « au nom de la littérature scientifique », mais uniquement au nom de ce qu’elle a lu et compris. Car la science n’est pas absolue : elle est vivante, évolutive, relative, bien plus relative qu’on ne pourrait le croire … La sacraliser, c’est ouvrir la voie à une récitation vide de sens, à un psittacisme déguisé en rigueur.

Un vrai connaisseur n’a pas besoin d’invoquer la science pour convaincre : il s’efforce de nommer clairement l’origine de son savoir. C’est ce que je t’invite à faire : parle depuis ce que tu as lu, pas depuis ce que tu crois avoir compris dans son ensemble.

Par les mots, on transmet bien plus que des idées. Alors, tâchons de transmettre ce que nous savons réellement, et non l’impression que nous savons réellement.

N’oublie pas ou souviens-toi.

Au plaisir d’évoluer ensemble.

Lucas Van Der Linden

Lucas Van Der Linden a plus de 6 ans d'expérience en musculation, détient un bachelier en coaching sportif, et a commencé depuis peu les compétitions en powerlifting à niveau amateur. Envieux d'aller au bout de sa compréhension, Lucas cumule des connaissances principalement en sciences de l'entrainement et de la nutrition, ce qui l'a amené à entreprendre la formation "Bayesian France" et "Adeps moniteur initiateur en powerlifting/haltérophilie". Fondateur et propriétaire de "Berserk Training System", un site dédié avant tout au coaching en ligne visant à informer/éduquer les pratiquants de musculation, il a pour projet professionnel de se dégager suffisamment de temps pour créer du contenu utile dans son champ d'expertise sous forme d'articles et de podcasts. Lisez les deux liens suivants pour en savoir plus à son sujet : https://berserktrainingsystem.com/qui-suis-je/ et https://berserktrainingsystem.com/court-temoignage-mes-debuts-en-musculation/

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